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     BALKANS TRANSIT (REWORKS 06)   
 par RaPh


Salonique. Cinq heures de train depuis Athènes, tunnels/montagnes, champs de coton, tunnels/montagne, mer. Le train a l’avantage sur l’avion de bien marquer la distance, large. Athènes est sèche, Salonique est humide. La première est dans les cailloux, la seconde est dans les Balkans, en Orient aussi. La ville n’est plus turque depuis un siècle mais la moustache se porte encore large sous le nez des plus âgés — la plupart Grecs d’Asie Mineure. L’odeur d’épices frappe d’entrée et la musique qui s’échappe des bars a des airs d’Istanbul ou du Caire. Cuisine juive, pâtisseries au miel et poissons fumés, c’est samedi soir, dernier jour de septembre, il fait un peu chaud mais pas trop, et l’étroit trottoir qui sert de jetée est blindé de jeunes gens excités et sapés, qui vont en bandes d’un bar à l’autre en parlant fort — en grec, mais aussi en bulgare, en albanais.
Promenade de bord de mer. Vieillards vendant des bonbons, graines en tous genres et barbe à papa ; filles solitaires trop maquillées pour ne pas être un peu louches ; jeunes skaters, mêmes baggies et mèches travaillées qu’au Trocadéro, qui se tordent les chevilles sous la statue martiale et laide d’Alexandre le Grand ; vendeurs de jouets gitans souriants ; dealeuse de briquets chinoise renfrognée ; musicien assis à terre, jouant d’une sorte de drôle de harpe renversée au son aigre. Le soleil se couche pour de bon sur les docks. Demi-tour pour voir la grande mosquée du centre, bâtiment ocre dans la nuit, énorme. Pour ne pas dire « mosquée » les Grecs sur un panneau l’appellent « rotonde ». Va pour rotonde donc. Autour du monument les bars et restaurants s’animent. Plus loin, une sorte d’arc de triomphe constitue avec la mosquée les seuls éléments de décors anciens au milieu des immeubles 1950-1960 râpés et sans grâce qui font l’essentiel des villes grecques. Époque romaine ? On s’en fout, ce n’est qu’un cadre et seules les vibrations de la ville nous parlent, surtout que l’heure de la première bière a déjà sonné depuis un moment et qu’il faudra aussi songer à s’attabler.
Quand un Athénien évoque Salonique, deux solutions. Soit il connaît, parce qu’il vient du coin, qu’il y a étudié ou qu’il connaît son pays : il vante alors souvent cette ville de culture, métissée, chargée d’histoire — n’est-ce pas là que Theo Angelopoulos tourne ses films ? Un Français ne saurait bouder ! Soit il ne connaît pas — il vient du Péloponnèse et n’a plus quitté la mégapole que pour passer ses week-ends dans sa péninsule — alors il se ferme en songeant qu’il n’est pas étonnant qu’un Français apprécie cette ville frivole, pleine de ploucs du nord et d’étrangers, où l’on ne pense qu’à manger. Encore que frivole… À Salonique la droite la plus bornée cartonne à chaque scrutin et le clergé local est composé de dangereux popes turcophobes complets, ayatollahs chrétiens partageant avec leurs homologues iraniens la même haine de tout ce qui n’est pas saint, à commencer par les musiques qui font bouger les fesses des filles. Mais n’est-ce pas à Téhéran qu’on s’amuse le mieux en Iran ?
Ainsi tout en mangeant nous devisons longuement sur la ville. Ce n’est pas que nous avons oublié ce que nous venions faire ici, non, simplement nous prenons notre temps, nous le meublons avec intelligence, nous savons que la nuit va être longue, et comme des gosses — ce que sont au fond les vrais clubbers passés la trentaine, des adultes qui repoussent sans cesse le moment de se coucher — nous sentons l’excitation de la fête monter petit à petit, et ça nous rend joyeux. Depuis nos premières boums ça nous fait ça. Alors nous nous échauffons un peu à la musique orientale de la terrasse du merveilleux restaurant où nous achevons de dîner, dissimulée dans une galerie à la déco élégante et la localisation secrète. Et puis ce soir on n’entendra plus de bouzouki, pas de pop orientale, de rebetiko, ou de cette « musique de chiens » pleureuse qui parle d’amour violent, pas d’Anna Vissi, d’Elena Paparizou. « Most modern artistic wave from all over the world » vantent les programmateurs de la deuxième édition de Reworks, la soirée qui nous a conduits jusqu’ici. En fait les têtes d’affiche sont surtout issues de la scène allemande. Mais pas n’importe qui, jugez plutôt : Anthony Rother, Ada, Sleeparchive, Modeselektor, Dominik Eulberg, M.A.N.D.Y., Michael Mayer. Tiens, d’avoir seulement évoqué ces noms, ça y’est nous sommes chauds désormais, l’air nous intime de bouger ! Allez, il est temps !
Le taxi jaune à l’habitacle enfumé nous lâche loin du centre, sur un boulevard. Le chauffeur désigne une petite ruelle noire de la tête, c’est au bout. Nous nous engouffrons et déjà le boum-boum nous parvient. Cent mètres plus loin des grappes de gens, l’odeur de graillon des souvlakis, des voitures qui arrivent de partout, et cette fois le boum-boum nous encercle. L’endroit s’appelle le Mylos, plusieurs bâtiments industriels ramassés autour d’une allée centrale, jadis dédiés à la sueur des travailleurs et aujourd’hui aux performances artistiques en tous genres, des « friches », comme on les appelle, une bonne idée des années 1990 pour réhabiliter des lieux qui étaient morts avec le prolétariat. Nous entrons, on nous bague avec un bracelet blanc siglé Red Bull — « Oh tiens, je vais me prendre ça avec ma vodka. », sponsoring réussi — nous nous agitons, il faut qu’on voie tout, qu’on repère le meilleur, qu’on zappe sur la scène d’à côté… Tuuuut tuuut, les garçons, ne tombez dans les pièges des festivals : trop se scènes, trop de sons, trop de drogues, on se disperse, on implose, on finit par se perdre totalement, on ne sait plus à la fin qui on a vu, on mélange tout, on regrette. Soyez méthodiques ! D’abord une salle, un bar, un artiste.
« Reprocess stage ». Salle très noire, très grande, rideaux rouges tirés au fond d’une scène où s’agitent deux dadais rigolards en T shirt large, qui passent des disques. Premier constat, le son est excellent. Puissantes, les basses frappent direct au plexus et les aigus raisonnent en profondeur, pas de chuintement. Il est minuit, le public arrive en bloc, se masse d’abord autour du dance-floor puis très vite l’investit. Habiles, les deux deejays n’ont pas beaucoup de mal à les accrocher, enchaînant les tubes undergrounds, assez souvent joués pour être connus des danseurs — c’est de bonne guerre, la soirée démarre. Deux verres plus loin nous nous retrouvons à notre tour bras en l’air roucoulant au milieu de la piste. Ok pour temporiser, c’est pas non plus que nous soyons morts de faim mais bon sang la musique claque plus fort à chaque track, un son sec et chaud, qui vire un peu transe, des boucles entêtantes, du Border Community, du Areal. « C’est qui qui mixe ? », la question des festivals — avec « Il reste quelque chose à quelqu’un ? » — est lâchée pour la première fois de la soirée. Renseignement pris il s’agit de Kleinkariert, deux garçons inconnus de nous, élevés à Stuttgart et au Weetabix — ils on l’air en bonne santé — et pourquoi pas Stuttgart, puisqu’à peu près tout ce qui vient d’Allemagne aujourd’hui déchire sa race ! Alors gueulons, agitons nos pieds !
Au bout d’un temps indéterminé nous nous retrouvons dehors dans l’allée centrale, il fallait bien bouger à un moment, sortir un peu, voir du pays. Les lieux sont maintenant noirs de monde, un public jeune au look soigné bien qu’un peu chargé, daté aussi parfois (pour trop de garçons encore cette coupe Toni&Guy d’il y a quatre ans, on aimerait pouvoir leur dire !). Ca ne frime pas trop, ça boit beaucoup, mais surtout ça se presse pour accéder aux salles, on n’est pas là pour discuter, l’air est chargé des sons contradictoires des sounds systems qui se font écho, et il faut que les oreilles y remettent de l’ordre et en captent un maximum. Pas mal de filles sont élégantes, pas trop maquillées, on est un cran au-dessus du centre-ville. Les garçons ont mis leur plus beaux T shirts, ciglés de labels obscurs ou de dessins décadents. Comme partout en Grèce tous enchaînent les clopes, sans arrêt. Nous passons devant un, puis deux bars totalement vides — les danseurs sont maintenant dans les hangars ou en train de s’y rendre – et rejoignons la « Reconstruct stage », petite scène dédiée aux musiques expérimentales, dans une salle ici encore sonorisée comme dans un casque et tapissée de lumières bleues de sous-marin. Un certain Spyweirdos (de la famille de Murcof) délivre derrière un tas de machines une musique aquatique profonde mais hélas marquée d’une arythmie forcément peu en adéquation avec le désir de danse qui nous agite désormais. En d’autres circonstances nous nous serions volontiers laissé envahir par les nappes vibrantes qui débordent des enceintes mais le poum-tchick nous a déjà attaqués et nous sommes en manque. Nous saluons respectueusement le « Reconstruct stage », sachant que nous n’y reviendrons plus.
Dehors l’air est maintenant traversé d’éclairs. Tout le monde veut danser et des queues se forment pour prendre d’assaut la salle principale, où doivent jouer les stars. Nous nous frayons un chemin en complimentant les filles qui le méritent, passons par les issues de secours en faisant des blagues aux types de la sécurité — rares et gentils —, écrasons des tas de paires de pieds en nous excusant en anglais pour attirer la sympathie de nos victimes, opérons un détour par le bar pour nous abrutir un peu plus de taurine au goût de bonbon Haribo mélangée à l’alcool russe et finissons par rejoindre le cœur de la machine du « Remake stage », en titubant un peu sur le sol, gravement en pente, de la salle gigantesque. Baoum. Les enceintes explosent sous le feu d’un son énorme. Impression tenace qu’à Paris les limonadiers se foutent bien de la gueule du monde pour proposer des clubs à la sono aussi médiocre quand en Grèce la moindre boîte déploie un sound system digne des plus belles salles de concert ! L’un des deux gars de M.A.N.D.Y. — qui, de Patrick Bodmer ou Philipp Jung, on l’ignore — se tient derrière les platines, enchaînant talentueusement les bombinettes de leur très trendy label Get Physical. Le public danse mais semble au fil des minutes réclamer plus de son, criant pour obtenir son dû. Les morceaux se suivent, efficaces, mais n’atteignant jamais le plafond où l’on retient son souffle, ou alors retombant un peu en couille pour laisser place au suivant. Le DJ semble le sentir et s’acharne à essayer de faire monter la sauce. Mais elle prend peu, et le public ne s’y trompe pas qui par petit groupes se dirige vers le bar ou aux abords de la salle pour y rouler des joints. « Que de bons disques pourtant mais rien n’opère si celui qui les marie ne possède pas la magie », devisons-nous avant de quitter l’endroit en quête de plus de grâce.
Celle-ci va prendre la forme d’une petite femme blonde ceinte d'une robe bleue à la coupe années 50 répondant au nom d’Ada. Elle joue au « Rebuilt stage ». Un couloir aux murs de pierres épais et haut de plafond débouche sur une pure réussite visuelle : un bâtiment d’usine dont le toit et des murs ont été remplacés par de grandes parois de verre, derrière lesquelles se déploient arbres et plantes grimpantes. Au milieu trône un bar surélevé et c’est derrière celui-ci, en hauteur et au centre, que la musique et le spectacle de la salle se donnent en grand, avec la commodité supplémentaire de pouvoir sans trop bouger enquiller les bières auprès d’une serveuse si proche qu’elle vous est presque attitrée. Mais déjà Ada a pris le contrôle des machines pour son live et le monde a changé. Les danseurs s’arrêtent et ne rient plus, les visages se tendent. Un son d’un noir absolu vient d’envahir l’espace, une basse tremblante et sale qui s’étire indéfiniment, sans pied. Les nerfs sont doucement mis à l’épreuve par d’infinies modulations, ça dure une éternité, c’est sombre et violent. Puis ça se calme doucement et soudain ça éclate : une rythmique lourde et froide comme une tombe. La tête bouge instantanément, c’est une libération pour le corps mais ça reste infiniment triste, jusqu’à ce qu’une petite mélodie de synthé vienne faire semblant d’ajouter de la couleur. Ça ne dure pas car elle meurt aussitôt pour laisser place à une autre, qui disparaît à son tour pour être remplacée par des sons de cloches lugubres. On entend aussi une voix au loin, fantomatique, mais la basse vient l’envelopper, la tuer littéralement, et envahir tout le reste, pour finir là-dessus : un pied, une basse. Puis juste la basse, qui vient mourir doucement comme un râle. Puis plus rien. Le morceau aura duré dix minutes peut-être mais tout le monde est sur les genoux. Consciente de son effet, l’Allemande se paie le luxe d’un long silence avant d’enchaîner sur une autre de ses compositions. Une clameur énorme s’arrache alors du public, ivre de terreur enfantine, totalement conquis, à sa merci. S’ensuit plus d’une heure de pure extase électronique, de celles qui poussent à ne jamais s’arrêter de bénir cette musique, de crier « aciiiid » comme un ado attardé, d’écumer les disquaires et les sites de labels à la recherche de perles, de faire la queue sous la pluie devant les clubs et poireauter jusqu’à des heure indécentes dans des salles enfumées pour voir jouer celui pour lequel on a payé, de se faire insulter par les mélomanes qui n’y voient que l’accompagnement sonore de l’extase narcotique d’une bande de petits drogués. FUCK ! A ce moment précis Ada est la reine d’une machinerie extraordinaire, créatrice d’une musique pessimiste et belle, d’une gravité absolue tout en étant parfaitement dansante, extraordinairement dansante même, les jambes et la tête bougent seules, les yeux se ferment pour mieux ressentir chaque son. Parfois surgissent dans ses morceaux des barrissements d’éléphants, des blips cheap de rayons laser, des notes de Bontempi. Minimal, ça ? Les boucles le sont mais les sonorités au contraire sont d’une complexité inouïe, extrêmement travaillés, et modifiés sans cesse en live par la jeune dame qui joue avec les réactions de la salle. Ses morceaux sont mélancoliques, ils ont un goût de fête qui ne veut pas s’arrêter, lorsqu’on craint de se confronter au jour trop blême, de descentes freinées in extremis par le dernier trait salvateur. Le touche à sa fin, Michael Mayer se tient derrière Ada depuis un moment, il danse un peu mais surtout il a l’air ému. Il l’applaudit longuement tandis que le public s’époumone pour acclamer la blondinette. Mayer l’applaudit encore quand il pose sa première galette — transition géniale, « Maria » de Closer Music — conscient certainement qu’un deejay set n’égalera en rien ce qui vient de se passer. Cette fois c’est Ada qui vient se poster sur la scène derrière le patron de Kompakt, et elle y dansera tranquillement, longtemps, tandis que des techniciens, des deejays, des danseurs viendront la féliciter ou la prendre en photo dans sa jolie robe bleue. Lessivés, nos cerveaux émettent un long vrombissement sourd — c’est encore sa basse — et nous décidons d’abandonner les enceintes géantes un moment, sentant que nous devons souffler un peu, respirer. Du trio initial nous ne sommes plus que deux car à ce stade l’un s’est perdu, on l’appelle sur son portable mais on n’entend qu’un indistinct et sonore POUM-POUM-POUM, on se dit que tout va bien, il est dans la place. Pause. Puis nos pas nous mènent de nouveau dans la plus grande salle, le « Remake stage », que nous avions quittée un peu fâchés. Bien nous en prend : c’est Anthony Rother qui officie, drôle de bonhomme très rond, les cheveux tirés en arrière, micro sous la bouche au milieu d’un tas de machines disposées en rond comme jadis le faisait Jean-Michel Jarre — qu’est-ce qu’il fait là lui ? Il dispense une electro classieuse qu’il accompagne en chantant comme un crooner, tout en multipliant les effets sur sa voix, c’est élégant et bien fait, assez complexe. Et décidément le public a bon goût qui avait boudé le set moyen de M.A.N.D.Y. malgré leur notoriété mais fait une ovation à Anthony Rother. Sa techno froide a pourtant presque l’air chaleureuse après Ada et l’on reprend un peu goût au monde des hommes quand son live s’achève pour laisser la place à
Modeselektor. « Hou les bonnes têtes de défoncés ! » pense-t-on immédiatement à la vue du duo qui se pointe sur la scène déjà en sueur, habillé comme des clous et… mon Dieu, c’est incroyable comme le petit ressemble à Laurent Garnier ! « Hello Thessaloniki, we are Modeselektor ! » annonce-t-il au micro et on se dit que c’est pour ne pas qu’on le confonde avec notre monument national, qui serait venu accompagné d’un copain. Sauf que lorsqu’ils démarrent le doute n’est plus permis : il s’agit bien du duo berlinois qui a introduit chez Bpitch les sons booty et sautillants qui ont fait leur succès. Dans la salle le public se met à faire des bonds partout, les filles se lancent dans des déhanchements sexy et les garçons du nord de la Grèce se prennent soudain pour des Noirs américains en saluant bras droit en l’air à la manière du public rap. La musique est drôle, passant de scratches sur des basses acides à une ghetto-tech tellement rapide que les danseurs s’y épuisent. Modeselktor, c’est le duo qu’il faut pour animer un anniversaire : le truc imparable pour rendre tout le monde fou, du cousin un peu chiant aux parents envahissants qui voulaient faire la surprise. Et tous les potes même les plus lourds, car même avec quatre grammes d’alcool dans le sang on doit encore pouvoir bouger sur leur musique comme un cinglé.
Mais pour nous désormais les choses se bousculent et quand se termine le live des Allemands fous, nous perdons un peu le fil de la soirée : l’un des membres de notre trio manquait, il a fini par réapparaître mais torse nu, clamant qu’il s’était remis à la muscu, avant de s’éclipser puis de revenir à nouveau, cette fois le visage mangé par une gigantesque paire de Ray-Ban. Pendant ce temps nous continuons d’errer de sons en sons, mais ne se rappelle à nos mémoires que le set du Dr. Lektroluv sous son célèbre masque de professeur Nimbus vert, balançant une techno de fou furieux — il est Belge. Nous avons tout bonnement oublié d’aller entendre Sleeparchive, quant à Dominik Eulberg il semble qu’il ait manqué à l’appel. Toujours est-il que nous comatons dans l’allée centrale devant une millième bière en regardant le soleil envahir le ciel lorsque notre tiers aux Ray Ban resurgit de nulle part pour nous dire « Venez voir !» et nous entraîne dans la salle où avait officié Ada — bénie soit-elle. Là, devant trois cents personnes massées devant la scène baignée par la lumière du jour nous découvrons un Michael Mayer aux anges bien qu’il n’ait pas cessé de mixer depuis le milieu de la nuit, enchaînant les morceaux pour un public qui visiblement ne veut plus le lâcher d’une semelle. Il passe n’importe quoi, des ovnis échappés de sa caisse de disques, comme une disco aérienne improbable mais aussi des tracks que d’autres deejays lui apportent — personne ne l’avait prévenu qu’il mixerait aussi longtemps et il doit être un peu à sec. L’ambiance est survoltée, tout le monde crie, Mayer a l’air un peu enivré et il n’arrête plus de sourire. Il s’affale sur une platine, le disque saute, tout le monde hurle de bonheur, il rigole et replace le morceau n’importe où. Dans l’assemblée certains s’agitent en balançant leurs bras dans tous les sens, d’autres ont la tête dans les enceintes. Une fille à l’air très jeune et à la jupe très courte, les jambes plantées dans une paire de santiags, sourit aux garçons d’un air enjôleur, elle a des strasses de couleurs autour des yeux. Ce sera notre dernière image de Reworks : il est bientôt neuf heures, notre train part en milieu de matinée mais d’abord il nous faut prendre un café sur le quai, les pieds au-dessus de la mer en regardant des Chinois qui pêchent. Les oreilles en miettes, heureux.
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