
Nous
avions envie de parler du Social Club. Nous avions envie de
rencontrer ses nouveaux directeurs. Nous avions deux manières
radicalement différentes de penser ce que pouvait être
le Social Club, ce qu´il avait de social, comment il différait
des autres clubs. Nous en avons beaucoup discuté. Voici le
résultat de tout cela : nos présupposés,
nos préjugés, le lapin que nous a posé Arnaud
Frisch (un des directeurs du club), le deuxième lapin que nous
a posé Arnaud Frisch, nos discussions. Au bout du compte, la
méfiance de l´une se fait plus bienveillante et
l´enthousiasme de l´autre se teinte d´une ironie
dubitative.
Lisez donc le premier avis, puis le second, puis enfin
allez au Social Club découvrir par vous-même si vous
penchez davantage vers l´ironie que vers la bienveillance –
ou l´inverse.
Kimberley Clarck
Sous
un brasero éteint, je fume en terrasse en attendant Coddo que
j´attrape au vol pour lui annoncer qu´Arnaud Frisch est déjà
installé, en séance de travail avec ses associés –
mais à l´intérieur. Nous voilà réclamant
notre audience, mais le temps lui manque. « Dans trente
minutes ? » Trente minutes plus tard, le temps lui
manque encore. « Pourquoi pas un autre rendez-vous ? »
et Arnaud opine. Nous repartons, Coddo et moi, après avoir
perdu deux heures.
Le
soir tombé sur la saint Valentin, Coddo et moi sirotons un
verre de blanc en attendant, mais à l´intérieur cette
fois, Arnaud Frisch. Cacahuètes, verre de blanc et nous
devisons : « Et si nous invitions le beau serveur à
se trémousser prochainement en notre compagnie au Social
Club ?
Pourvu qu´on parle bien du club en face, pas des
octogénaires cubains… »
Non, il s´agit bien
du Social Club, ce nouveau lieu dédié à la
musique électronique, né à Paris le 16 janvier
2008 et dont tous les clubbers
parlent
avec une avide curiosité. En lieu et place du Triptyque, il se
distingue apparemment par une proposition dense, fournie et pointue.
La programmation des deux premiers mois semble très
alléchante, orientée clubbing avec un maximum de têtes
d´affiche. Le Social Club se voudrait-il le nouveau rendez-vous des
deejays à la mode ?
Out
donc, le Triptyque qui n´a jamais vraiment trouvé son
public. En quatre années d´existence, il ne pas réussi
à s´imposer dans le milieu de la nuit electro parisienne. On
peut se demander si la cause en est la médiocre qualité
du son, l´excessive diversité de la programmation musicale
ou le personnel toujours à la limite du désagréable.
On optera pour une subtile combinaison des trois. À force de
métissage, la couleur disparaît, pour ne plus exister
qu´à travers quelques touches disparates manquant
cruellement de fond, d´originalité, enfin tout simplement de
personnalité et de caractère.
Bien tenté,
mais la chute n´est pas loin… Décembre 2007, j´assiste
dépitée à l´une des dernières soirées
organisées par le Tryptique. À 2 heures, seuls quelques
post-adolescents s´agitent sur le dance-floor, les oreilles collées
aux enceintes pour parvenir à être submergés par
le son. J´ai la désagréable impression d´assister à
la fin d´une histoire, et même mes vodkas Perrier ont un goût
de boisson énergétique, comme si on me dopait gentiment
pour m´inciter à participer. Fin du drame, c´est vraiment
trop pathétique, je ne serai jamais
Triptyque-addict !
Triptyque
is dead, welcome to Social Club !
OK,
mais en battant des mains, je me demande ce qui va réellement
transformer cette cave en un club de qualité. Apparemment, on
n´a pas effectué de travaux d´envergure, mais seuls
quelques aménagements déco ont été
réalisés par un collectif d´architectes du nom
d´Exyzt pour donner une nouvelle identité visuelle au lieu.
Le choix est plutôt judicieux, puisque c´est le parti-pris de
la simplicité qui a été mis en avant : jeux
de lumière discrets et néons zigzaguant au plafond qui
rappellent les lignes épurées white
and black et
l´inspiration pop art « rétro-futuriste »
choisies pour les flyers
et
autre magazine du Social. Un réel parti-pris artistique donc,
qui anime la nouvelle équipe du club, avec l´envie apparente
de décloisonner le monde de la nuit et de lui faire véhiculer
un vrai discours. Et si pour être social, il faut prendre
avidement la bouche d´un camarade en lui agrippant les cheveux et
se préparer à un baiser torride et humide, alors oui,
je veux faire partie de ce club !
En tout cas, afficher
ouvertement le rôle sociétal d´un club est plutôt
osé, mais qui n´a pas un soir tissé du « lien
social » sur le dance-floor avec un inconnu ? Qui n´a
jamais pensé au pouvoir fédérateur de la musique
et du DJ ? Qui ne s´est jamais moqué du danseur paré
de sa plus belle chemise pour l´occasion ? La nuit se joue
des différences, la nuit rend beau, et bla bla bla.
Justement,
le choix du nom pourrait prêter à sourire, car on peut
se demander à quelle dimension sociale peut prétendre
ce petit monde généralement très opaque et fermé
de la nuit. La nouvelle équipe n´a aucun doute là-dessus
et s´inspire, selon les dires d´un des leurs, des « clubs
populaires anglais où toutes les couches de la
populations se retrouvent, en réponse aux clubs sélects
et aristos. »
Démocratisation et accès à
un plus grand nombre, telles sont donc les revendications affichées
du Social Club. Une chose est sûre, il ne sera pas le nouveau
Paris Paris. Ouf. Eh ! oui, la culture populaire passe aussi par
le live
et le concert, par la musique électronique et le clubbing !
Car
pour le moment, le Social Club reste essentiellement un club, et même
si quelques autres événements y sont présentés,
les concerts, pièces de théâtre, défilés
et autres n´y ont pas encore vu le jour. L´espace n´est pas si
grand et l´identité du lieu pas encore forcément très
marquée, alors laissons le temps aux membres du Social Club
d´avoir l´envie de dépasser l´unique proposition
actuelle, et de devenir plus qu´un club, un vrai lieu culturel et
pluridisciplinaire. Car le défi est bien là, celui de
susciter la curiosité et de faire revenir le fan de SebastiAn
à un débat sur la citoyenneté ou à un
concert de musique du monde, mais aussi d´attirer un public nouveau
qu´on pourrait appeler « de jour » qui
ne fréquenterait le lieu que pour les propositions hors
clubbing.
« Décloisonnement
des styles, des genres et donc des publics », car même
si le club se veut principalement orienté musique
électronique, il n´exclut pas de présenter et
promouvoir la jeune scène musicale en tous genres. Gageons que
cette ouverture sera mieux gérée par ces professionnels
que celle engendrée quelques années plus tôt par
le Tryptique.
Davantage inspiré par la qualité de
proposition du Rex, le Social Club semble utiliser les expériences
et compétences de chacun des co-fondateurs et, au regard de la
programmation, les divers contacts établis depuis toutes ces
années dans l´univers musical, qu´il soit electro, rock,
ou plus orienté hip-hop. En effet, la programmation regorge
d´incontournables de la scène musicale actuelle et
d´artistes produits par le label d´Arnaud Frisch et Antoine
Caudron, UWe. Ces quatre garçons dans le vent (les deux autres
étant Manu Barron et Antoine Caton) ont déjà une
longue expérience et évidemment d´excellentes
connexions dans le domaine des musiques actuelles et plus largement
des métiers de la culture. Pas étonnant, donc, que le
milieu leur fasse confiance, aussi bien du côté des
institutionnels que des artistes eux-mêmes. Ivan Smagghe par
exemple, décidant de reprendre les soirées Kill
the DJ,
choisit le Social Club, et le revendique comme étant
actuellement l´un des seuls clubs de qualité à Paris,
avec le Rex, bien sûr. Inspiré de ce dernier, le Social
Club s´est vu contraint (concurrence oblige, concurrence saine
d´ailleurs mais concurrence quand même) de se doter d´un
matériel sonore à la hauteur de sa programmation. On
n´en attendait pas moins pour parfaire ce bel idéal de la
nuit. On ne peut que se réjouir de l´ouverture prochaine et
supposée de l´espace underground,
situé... dédié au club ou au social ?
Voilà,
il n´en fallait peut-être pas plus pour créer
l´incontournable, une équipe reconnue à la direction,
un carnet d´adresses à toute épreuve, de la
conviction et du professionnalisme. Reste l´âme et l´identité
du lieu qui dépendra aussi, bien évidemment, de
l´engouement et du suivi du public.
En
parlant de professionnalisme, cela fait maintenant plus d´une heure
que nous attendons Arnaud Frisch pour notre rendez-vous, notre
deuxième rendez-vous. Imagine-t-on toujours la fin
comme ça ?
Coddo del Porta
Ouaouh !
Un nouveau club ! L´œil égaré devant cette page
de magazine, je trouve dans la réclame une nouvelle qui me
cloue au sol : un club ouvre à Paris. L´année
2008 vient de débuter. L´information mérite d´être
relevée et de s´extasier. Ouaouh ! Rue Montmartre, au
142, le Social Club ouvrira ses portes en grandes pompes le 16
janvier. En grandes pompes – je le redis, car ouaouh !
l´inauguration se redira elle aussi. Le 16, soirée sélect
avec Midnight Mike, Zongamin, Etienne de Crécy, Gildas
& Masaya, Das Pop et des guests.
Une question me tord les lèvres : les artistes prennent
toute la place – où vont-ils mettre les invités ?
Le 17, soirée pour tout le monde, c´est-à-dire pour
ceux qui parviendront à entrer, c´est-à-dire de
jeunes et courageux clubbers qui
voudront, et on les comprend, écouter Felix Da Housecat,
Yuksek et les Putafranges. Réquisitionnez les fanfares !
Que sonnent les trompes de la renommée ! Et brimbalent
les fifrelins du vedettariat ! La naissance du Social Club, rue
Montmartre, au 142, voilà un événement qui fait
du bruit déjà, dans le silence des pages de mon
magazine. Ouaouh !
Rue
Montmartre ? Au 142 ? Ne serait-ce pas tout près de
feu le Triptyque ? Si ! Bingo ! C´est le Triptyque –
c´était
le Triptyque. Riche idée, que de reprendre le Triptyque, club
qui revient de loin, c´est-à-dire à vol d´oiseau de
nulle part. La dernière fois que j´y ai mis les fesses –
voyons, où s´est-il glissé, ce flyer ? Il me
semblait pourtant bien le savoir, où il était. Ah !
Le voilà : –, c´était en 2005, le 14
janvier, rue Montmartre, au n°142. Pas de doute : lors d´une
soirée soirée Angel
Dust,
Superpitcher m´avait cassé les oreilles. Je le dis avec un
tremblement dans la voix, qu´il faut entendre comme le regret
d´avoir à le dire : j´apprécie Superpitcher,
mais ce soir-là, au 142 de la rue Montmartre, il m´avait
cassé les oreilles. Je me disais bien qu´un vieux bruit de
casserole montait des escaliers de ma mémoire du Triptyque.
Son : mauvais. Programmation : terne. Lieu : comme la
cave d´un immeuble à l´abandon, à peu près.
Les gens : mauvaise ambiance.
Mais là : ouaouh !
Fini, ce bruit de vaisselle cassée qui tinte encore dans le
lointain. Fini, le Triptyque. Vive le Social Club, baigné d´un
son fringant imité du Rex avec ses petites enceintes partout,
qui t´habillent de son pour la nuit sans te déboîter
les tympans. Les oreilles seront à la fête, dirait-on,
dans ce nouveau club, rue Montmartre au 142 – et les yeux.
Mazette ! L´image qui envahit Paris au mois de janvier 2008
pour accompagner cette ouverture – avez-vous vu ce baiser-là ?
Je pense tout de suite à Goo,
cet album de Sonic Youth habillé : non, « habiller »,
déjà dit – disons habité, incarné
par Raymond Pettibon. Cet univers, cette imagerie, sur la pochette du
disque comme en couverture du programme du Social Club, poussent le
spectateur au déséquilibre, sur un crête étroite.
D´un côté, un dessin économe fait d´à-plats
et de suggestion, un coup de poing graphique de l´autre :
c´est cette goutte de bave qui vous sort soudain du monde trop pop,
cette goutte de bave qui soude les bouches à
distance
et une langue qui déclare le plaisir d´un baiser lèvres
décollées – un baiser qui n´existe pas.
L´image est signée Laurent Fétis, « directeur
artistique », est-il imprimé dans l´ours, de
cette publication – cette
belle
publication. Finirai-je donc jamais de m´extasier devant ce Social
Club ?
Non !
La preuve : à l´intérieur, la salle elle-même
est ravalée entièrement par le collectif Exyzt
connu pour ses installations éphémères,
c´est-à-dire montables/démontables, et pour son usage
extensif du mot utopie
en architecture. Noir total pour faire le vide, bandes
phosphorescentes, néons estampillés Tron
pour emplir, éléments amovibles pour ne rien figer,
cabine de DJ. Ouaouh ! Et je pèse mes mots. Certes, au
142 de la rue Montmartre, la sorte de boyau qui servait de Triptyque
n´a pas miraculeusement repoussé les murs, mais ce club en
sous-sol ne pouvait pas rivaliser de toute manière avec le
« ten thousand light living room » mythique de
Zsa Zsa Gabor. Nous atteignons les bords orientaux du Social Club,
c´est-à-dire du Social
Club, dirait-on.
Ne nous arrêtons donc pas en si bon chemin,
dès lors, et poussons à l´intérieur des terres
où le club veut nous emmener : avec une entrée à
12 euros le plus souvent, mais qui peut grimper jusqu´à 20
lorsque des vedettes (comme les 2 Many DJ´s le 23 février
2008) viennent jouer, et entrée libre le jeudi soir, le Social
Club pratique, sans excès, des tarifs d´actualité –
la vie est chère, mon bon monsieur, faut bien vivre, le
pouvoir d´achat, vous comprenez, et ainsi de suite. J´ai
l´impression que le soleil social du Social Club a terminé
sa course, plein ouest. Or, non ! Au 142 de la rue Montmartre,
le mot social
prend un sens différent avant la nuit tombante : le Cité
Club, une fois par mois le mardi, s´ouvre aux gens, à
l´actualité, au monde. Le premier invité de ce club
dans le Club était Christophe Deltombe, président
d´Emmaüs ; le thème du mois d´avril est
« Bonheur et décroissance ». Ouaouh !
C´est le clubbing qui va être content, lui sur qui bavent les
mauvaises langues : la nuit, les chats n´ont pas de cerveau,
dit-on. Entre l´after
d´after
du
dimanche et le before du vendredi suivant, il y aurait donc place
dans un club pour autre choses que du club ? J´applaudirais
bien des deux mains, mais où poser ma vodka tonic sur le
dance-floor ? Ouaouh ! disais-je une nouvelle fois, mais je
me suis emporté : ouvrir le Social Club au monde diurne,
celui dans lequel il se passe et se dit des choses de plus de
conséquence que « oups ! j´ai renversé
ma vodka tonic ! », voilà une bonne idée,
mais on peut douter qu´elle concerne les clubbers
directement.
Bon pour l´image, c´est-à-dire le nom
du club.
Alors,
pour résumer mon enthousiasme, un nouveau club a ouvert ses
portes rue Montmartre, au 142, dont l´acte de fondation est
triple : une programmation musicale remarquable d´emblée,
des choix esthétiques en rupture avec la fadeur et la tendance
minimale actuelle et un discours. Basse continue, c´est-à-dire
en arrière mais jamais absent, le discours serait la réponse
à cette question, de savoir ce qu´il s´agit de nommer avec
les mots Social
Club.
Ôterait-on le discours, qu´il restera – mais peut-on
négliger ce reliquat – un
club.