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     DISCO FASCIST CREW   
 par Laura Ingalls


Sur les dance-floors on ne s´occupe pas trop de politique.
Pourtant dans les coulisses de l´hédonisme la politique, elle, s´occupe de nous.

On le sait depuis que l´on est petit : l´Italie est la plaque tournante européenne de la dance commerciale et elle l´est depuis les temps reculés du disco.
Cela donne d´ailleurs naissance à un mouvement dont on entend beaucoup parler ces temps-ci : l´italo disco.
L´italo est une variante européenne de ce que l´on appelle aux États-Unis la hi-nrg, musique de danse à forte dominante synthétique descendant en droite ligne du disco. On peut dire sans trop s´avancer que ce son fait la jonction entre les arrangements pleins d´orchestre à cordes et de cuivres-péplums du disco classique et la sainte
house music qui naîtra tout juste quelques mois plus tard, les derniers producteurs disco comme Farley Jackmaster Funk étant finalement les premiers producteurs house.
Mais là où la hi-nrg est une musique rebelle, représentant une communauté de marginaux gay, hédonistes et poly-toxicomanes avant l´heure, l´italo est un courant largement mainstream, voire légèrement beauf.
L´ambiance italienne y est pour beaucoup : on est bien trop près du Vatican pour glorifier l´homosexualité et il y a peu de minorités ethniques dans un pays qui a plutôt mal réussi sa colonisation. Quant à la drogue, l´ambiance des folles
eighties se charge sûrement de saupoudrer les dance-floors de ce mélange de kérosène et de feuille de coca. J´avoue n´avoir pas fait de recherche là-dessus : je laisse aux experts le soin de vous faire découvrir les liens entre les cartels de Medellín et la disco colombienne.
Mais revenons en Italie.
Il faut le dire, Rimini, n´est pas la capitale culturelle que sont New York ou San Fransisco : on y pratique plutôt le concours de t-shirt mouillé et l´amourette de vacance
(Welcome to Rimini !!!) que l´engagement politique et la défense des droits des noirs. À croire que finalement, le seul point commun entre les producteurs des deux continents sera l´instrumentation et la sacro-sainte moustache. Le disco, comme le punk, portant la marque de sa capillarité – de l´afro popularisé par les Jackson Touffes à la moustache du distingué Giorgio Moroder – le disco avance à rebrousse poil.
Mais surtout le grand point de divergence, c´est que l´italo s´appuie dès ses débuts sur de grosses structures de production alors que les Larry Levan, Bobby Orlando, Patrick Cowley et Cie feront leurs débuts sur des structures plus confidentielles et dans des clubs appartenant à des acteurs du mouvement ou à des passionnés.
Or, l´Italie est depuis un moment aux mains d´une seule personne, aujourd´hui ancien président du conseil, Silvio Berlusconi.
Déjà dans les années 1980, Berlusca, comme on l´appelle de l´autre côté des Alpes, est un investisseur important dans le domaine culturel : il est propriétaire de studios de cinéma ainsi que de chaînes de télé (rappelez-vous la Cinq), journaux, radios, etc.
Ainsi il va produire, via sa compagnie Fininvest, sorte de fondation de son empire, les plus grands tubes de la musique de danse italienne de l´époque.
Il faut donc penser que lorsqu´on écoute avec nostalgie un titre de Ken Lazslo sous ses divers pseudonymes (DJ NRG, Ric Fellini...), de Sabrina et son fameux
Boys (Summertime love), les fonds qui ont servi à produire ces disques proviennent de sociétés écrans derrière lesquelles on retrouve immanquablement un proche du Cavaliere. Par ailleurs, la musique des artistes sus-cités et de leur pairs sont présents en rotation lourde sur le réseau de média appartenant à Mediaset/Fininvest. Ainsi, au-delà de la simple production, on peut dire qu´il s´agit aussi d´un système de promotion très lourd qui diffuse clips, interviews, etc.
Cela vient sûrement du goût immodéré de
Sua Emminenza pour la musique légère – avant de devenir un des hommes les plus riches de cette planète, il chantait des ritournelles sur les paquebot de croisière !
Cela n´enlève rien à la qualité de l´italo et à la finesse de ses arrangements mais il est intéressant de noter que cette musique à laquelle les gens s´intéresse aujourd´hui de près est arrivée jusqu´à nous.
Enfin personnellement, cela me passionne de savoir comment une œuvre est produite, étant de ceux qui pensent que la personnalité d´un créateur influe forcement sur son œuvre. Bien sûr, cela m´empêche de découvrir le sympathique Céline, grande gloire de la littérature collaborationniste, et j´ai toujours beaucoup de mal à regarder la photographie de Leni Riefenstahl, mais j´écoute quand même de l´italo, à défaut de musique martiale allemande des années 1930.
Pour revenir à Berlusca, je me souviens d´une anecdote à son sujet qui n´a pas beaucoup de rapport avec mon raisonnement, si tant est qu´il y en ait un, mais qui a beaucoup d´importance dans le contexte actuel.
Je vivais en Italie lors de la première élection du
Cavaliere à la tête du conseil, et je voyais défiler à ses côtés sur des plateaux télé, entre deux blondes quasi nues engagées pour faire... rien, toutes les célébrités que l´Italie comptait à l´époque. Les présentateurs prenaient tous quelques minutes dans leur show pour vanter les mérites de leur ami Piersilvio. Je me souviens des affiches d´un parti de gauche qui disait pour résumer : « la vie c´est pas facile quand on n´a pas de chaîne de télévision à soi ».
Berlusconi a conquis l´Italie grâce aux média, on le sait, et je pense que le petit Nicolas S. a bien étudié ses méthodes pour se hisser à la tête de notre jolie France.
Espérons que Nicolas ne ruine pas la France comme
il maledetto Silvio a ruiné l´Italie : j´y suis retourné récemment après six ans d´absence et j´ai trouvé un pays mourant, meurtri pas l´euro et le néo-fascisme libéral.

Retour en arrière – milieu des années 1980. Les Pays-Bas prennent une grosse claque italo, grâce à la fameuse radio pirate Radio Stad den Haag (97.2 FM dans la région de La Haye), le pays des tulipes vit à l´heure italienne.
Aujourd´hui encore d´ailleurs, on entend les airs de l´italo sur les radios néerlandaises et on voit un nombre incroyable de soirées glorifiant l´italo. Les Néerlandais manquant affreusement de poils, on se demande ce qu´ils peuvent bien comprendre à ce phénomène.
Pourtant les synthés kitsch et les rythmiques binaires influencent directement les débuts du
happy hardcore, qui deviendra plus tard la gabber, musique ultra populaire aux Pays-Bas, présente dans l´équivalent du Top 50, popularisée par des collectifs aux noms chantants tel que Rotterdam Terror Corps et des deejays sympas comme Buzz Fuzz ou DJ Prophet.
Étrangement proche de ses origines, cette musique est assez souvent associée à une idéologie néo-fasciste et à une coupe de cheveux bien dégagée derrière les oreilles qui va si bien avec les rangers.
Le
facho disco crew a encore frappé et nos amis de la hi-nrg font des loopings dans leurs tombes où ils ont été plongé par l´épidémie qui ravagea la communauté gay dans les années 1980.
Puis l´horrible
trance naît, pleine de références à son passé hi-nrg ou italo, samplant abondemment Bronski Beat ou Koto, élevant le bassline arpégé au rang de science exacte, plongeant définitivement la musique électronique dans le consumérisme post-hippie.
Depuis, DJ Skinhead a changé de nom – on l´appelle désormais The Horrorist – et la
gabber est devenu une sorte de blague de clubbers, le seul mot de Thunderdome suffisant à arracher des crises de rire à n´importe quel connaisseur. La trance, elle, se porte bien, surtout en Israël, terre de contraste et de paradoxe...
On va dire que je suis totalement négatif, c´est vrai, donc j´en profite quand même pour dire que ce phénomène a aussi donné naissance au superbe label Clone qui s´inspire très largement de l´italo, avec des artistes qui me donnent envie de me rouler par terre de joie à chaque coup de caisse claire réverbérée, comme Legowelt ou Alden Tyrell. Clone a permis de replacer Rotterdam et La Haye sur la carte du bon goût – et ce n´était pas une mince affaire.

Récemment une paire de producteurs finlandais, à savoir Ural 13 Diktators, tentent de faire passer les producteurs de Detroit pour une bande de négro-imposteurs, clamant la suprématie de la race blanche sur la dance music.
Comme par hasard ces tristes sires se réclament de l´italo, n´ignorant peut-être pas les liens entre cette musique et le néo-fascisme italien. Ils glorifient les producteurs hi-nrg européen dans l´intro de leur album joliment intitulé Techno is dead : jetez donc une oreille, l´effet combiné du discours et de la voix sous-pitchée fais vraiment froid dans le dos !
Sylvester se retourne une dix-septième fois dans sa tombe et vous ne chantonnerez plus jamais aussi innocemment Valerie Dore ou Ken Laszlo,
to-tototo-to-tonight tonight...

 

 


Toi aussi, deviens complétement nazitronic et écoute les super compils de chez ZYX Records, The best of italo disco : il existe à peu prés autant de volume que de Thunderdome d´ailleurs, mais je vous recommande les premiers, car les derniers descendent très bas en qualité avec la présence notamment des Outhere Brothers... Eh ! oui.
Sinon, si ce n´est pas déjà fait, ruez-vous très, très vite sur tout ce qui porte la marque de Patrick Cowley (Sylvester, Paul Parker, Tantra...) ou Bobby Orlando (Divine, Pet Shop Boys...) et redécouvrez aussi le premier Madonna. Rien à voir ? Pas tant que ça...

Mes morceaux préférés d´italo disco/hi-nrg/electro-disco :


My Mine : Hypnotic tango
Mike Mareen : Lovespy (Badman mix)
ELectric Workers : Robot is systematic
Bobby Orlando : How to pick up girls
Fun Fun : Happy Station
Giorgio Moroder : From here to eternity
Laserdance : Fear
Baby´s Gang : Happy song
Kinki Go : You you you
Scotch : Money runner
Paul Parker : Right on target
Patrick Cowley : Sea hunt
Bronski Beat : Run away
Cellophane Brain : Gimme love
Lime : I don´t wanna lose you
Ric Fellini : Welcome to Rimini
Trans-X : Living on video

 

Photo : Lola Reboud

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